
Résumé : Ce billet s’intéresse à d’importants aspects, qui complexifient le processus Sioniste, que Theodor HERZL n’avait pas intégré dans Der Judenstaat (phase Conceptuelle du Sionisme). Ce sont ces mêmes aspects que le Président d’Israel Reuven RIVLIN considère aujourd’hui qu’il est essentiel d’affronter (phase Opérationnelle), au lieu de ‘’vivre dans le déni’’, pour reprendre ses propres termes.
Il apparaîtrait pourtant que, deux ans avant Der Judenstaat, Herzl avait présent à l’esprit certains de ces aspects, et qu’il aurait pourtant renoncé à les intégrer à son Projet Politique.
Peu après sa nomination, le Président Rivlin proposait des axes d’action raisonnables en vue de construire ce qui me semble être un ‘’État Nation de tous les Citoyens’’. Cela nécessiterait des actions volontaires du Gouvernement. Ce dernier ne partage pas l’analyse du Président, et semble poursuivre d’autres objectifs.
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>>>>> Theodor HERZL : Le théoricien du Sionisme
Theodor HERZL, un des premiers théoriciens du Sionisme politique, décrit son projet dans un essai politique « Der Judenstaat » (L’État des Juifs) de 1896. Herzl aurait pu écrire « Jüdische Staat » (État Juif). Il ne l’a pas fait, car ce que propose Hertz, c’est un État-refuge pour les Juifs, un foyer national, qui permette au peuple juif de se soustraire à l’antisémitisme et de retrouver sa dignité.
HERZL propose « une solution rationnelle et définitive à l’incertitude d’un phénomène persécutif irrationnel » (…) qui « doit permettre à la nation juive de retrouver son honneur parmi les peuples. » Lévi-Avishaï LEGER-TANGER/ Yvon PESQUEUX — CNAM 2010
HERZL souligne que la situation des habitants des « pays laissés » ne pourra que s’améliorer du fait du départ des Juifs. L’État des Juifs de Herzl ne saurait être un « ghetto » national ou religieux, mais un pays ouvert à l’international, à la science, à la philosophie, à la religion. L’État des Juifs de Herzl n’est donc pas nécessairement un État Juif : le judaïsme n’est pas un thème central dans son projet. Ce qui lui importe avant tout, c’est de trouver une solution pérenne à l’antisémitisme persistant, endémique, en Europe et en Russie. On note que cet antisémitisme n’est pas fondé sur des aspects religieux, mais sur des a-priori sociaux.
L’idée de HERZL (la solution du Sionisme) suit une logique claire, qui n’est pas à l’honneur des ‘’pays laissés’’ d’Europe et de Russie… Cependant, le Projet de HERZL ne traite pas trois éléments-clef relatifs au pays d’accueil qui, pourtant, sont actuellement au centre de grosses difficultés pour la mise en œuvre du Projet Sioniste. Trois volets principaux sont quasiment ‘’absents’’ du Projet de Theodor Herzl :
A ) Hertzl ne traite pas vraiment du sujet des autochtones du pays d’accueil.
B ) Herzl ne considère pas l’hypothèse de la possible fragmentation de l’unité juive. Il n’affronte pas non plus le sujet des courants Juifs orthodoxes qui considèrent ce projet hérétique et le refusent avec force. En effet, leur lecture ‘stricte’ des textes religieux considère qu’ installer le peuple Juif sur un territoire serait un sacrilège, puisque seul Dieu serait habilité à le faire.
C ) Herzl ne considère pas les différents aspects culturels et de langue des populations qui vont cohabiter dans l’État des Juifs (tant pour les Juifs de la diaspora, que pour les autochtones du pays d’accueil).
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>>>>>>> Herzl y croyait-il vraiment ?
Yvon PESQUEUX et Lévi-Avishaï LEGER-TANGER (Analyse « De l’idée à l’organisation » Conservatoire National des Arts et Métiers — 2010) mettent en avant le curieux point suivant: « Il est intéressant de remarquer qu’Herzl n’avait alors aucune inclination pour le sionisme, idéologie pourtant déjà en vogue dans certains milieux juifs. En 1894, dans un feuilleton consacré à la pièce La Femme de Claude d’Alexandre Dumas fils où le personnage de Daniel encourage les Juifs à revenir sur la terre de leurs ancêtres, il n’hésitait pas à écrire les lignes suivantes : ‘’Le bon Juif Daniel veut retrouver sa patrie perdue et réunir à nouveau ses frères dispersés… Mais, précisément, un tel Juif doit savoir qu’il ne rendrait guère service aux siens en leur rendant leur patrie historique… Et si véritablement les Juifs y retournaient, ils s’apercevraient dès le lendemain qu’ils n’ont pas grand chose à mettre en commun. Ils sont enracinés depuis de longs siècles en des patries nouvelles, dénationalisées, différenciées, et le peu de ressemblance qui les distingue encore ne tient qu’à l’oppression que partout ils ont à subir.’’ (cité dans ‘Le Sionisme Politique et son fondateur, Théodore Herzl’ — Baruch HAGANI — 1917)
C’était une intuition de HERZL d’il y a plus d’un siècle… écrite deux ans avant son essai politique ‘’Der Judenstaat’’.
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>>>>>>> Qu’en est-il aujourd’hui ?
Le Président RIVLIN n’y va pas par quatre chemins, dès 2014 : « Le moment est venu d’admettre qu’Israël est une société malade, dont la maladie requiers un traitement (…) » (Reuven RIVLIN, Président d’Israël — introduction de la Conférence sur le thème « De la haine de l’Étranger à l’acceptation de l’Autre » — oct. 2014)
En 2015, le Président RIVLIN revient à la charge : « Notre société sera bientôt formée de quatre tribus, qui ne se connaissent pas, ne se fréquentent pas, n’ont pas le même système éducatif. (…) « Nous ne pouvons vivre dans le déni (…) Il existe un fossé énorme entre les courants centraux de ces quatre tribus et ces différences ont un impact sur notre avenir.» (…)
« Au niveau politique : la tribu arabe ne participe pas au jeu politique tandis que les trois autres travaillent pour leur propre intérêt. Si cette situation perdure, ce sera la catastrophe. » (…)
« Je me contente de voir la réalité en face, alors que certains choisissent de vivre dans le déni. (…) Or, nous sommes là pour rester : laïques, sionistes religieux, orthodoxes et arabes. (…) Nous devons regarder cette réalité en face afin de trouver des réponses et créer, ensemble, une vision commune. Je ne veux pas imposer de réponses, mais je me dois, en tant que président, de poser des questions. » (Reuven RIVLIN, Président d’Israël — Exposé sur « Le nouvel ordre israélien » lors de la Convention de Hertzliya — juin 2015)
Les vues du Président RIVLIN sont mal reçues par certains courants israéliens. Il poursuit néanmoins son travail dans l’intérêt de tous :
« Aucune des quatre tribus ne doit sentir qu’elle doit renoncer à son identité pour faire partie de la société commune. C’est la première condition sine qua non : tendre la main vers l’autre ; le comprendre, même si a priori nous n’avons aucun rapport les uns avec les autres. Le deuxième axiome : nous sommes tous responsables de la pérennité de notre pays, de sa sécurité et de son économie. Le troisième axiome est le principe d’égalité : les budgets doivent être accordés de manière égalitaire. Le quatrième axiome consiste à créer un «israélisme» commun ensemble. Ce nouvel ordre ne doit pas nous pousser vers la division mais vers l’union. Cela prendra longtemps, mais si nous croyons que nous sommes faits pour vivre ensemble, nous y arriverons. Chacun d’entre nous doit faire un effort dans ce sens » Reuven RIVLIN, Président d’Israël — Exposé sur « Le nouvel ordre israélien » lors de la Convention de Hertzliya — juin 2015
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>>>>> Divergences de vues entre Président et Gouvernement
Malheureusement, l’analyse pertinente du Président et ses propositions semblent aller à l’opposé de la ligne « dure » des Gouvernements Israéliens successifs, lesquels ont choisi de concentrer leurs efforts sur d’autres priorités, dont le résultat est de fragmenter les habitants du pays. L’état de guerre permanente est souvent invoqué pour justifier qu’Israël doive se «défendre» de manière toujours plus dure, toujours plus intransigeante, contre ceux qui « menacent son existence ».
En réalité, sur les derniers 10 ans, les pertes humaines sont à plus de 95% palestiniennes ! (1) Les Palestiniens n’ont pas d’armée, et l’État d’Israel dispose d’une puissante armée de terre, air et mer, ainsi que de plusieurs centaines d’ogives nucléaires prêtes à l’emploi…sans parler du soutien stratégique depuis longtemps déclaré par nombre d’États occidentaux. L’État du Moyen Orient qui oserait sérieusement l’agression d’Israel serait immédiatement rayé de la carte. Voir (2) ce qu’en disent Jimmy Carter (2014) et Colin Powell (2016).
« La paix viendra quand nous serons en mesure de comprendre que nous vivons réellement dans le même espace de terre avec deux États, un État, trois États de la Confédération, peu importe. » (…) « Nous ne sommes pas condamnés à vivre ensemble. C’est vraiment notre destin de le faire. » Intervention du Président Reuven RIVLIN à la Brooklings Institution de Washington — décembre 2015 — (Source : Times of Israel — Dec. 2015)
Je pense que la vision éclairée du Président Rivlin pour ce que devrait être la mise en œuvre du Projet Sioniste légitime en Israel n’offre aucun angle à la critique. C’est une vision brillante et raisonnable. Et il faudrait la volonté politique de la mettre en œuvre. Mais cette vision ne plaît absolument pas à la frange intégriste de la tribu des Sioniste Religieux, qui veulent des Droits différenciés pour les ‘’Arabes’’. Le Président reçoit aussi périodiquement des menaces de mort pour ses prises de positions. En outre, le Gouvernement Israélien, par les politiques mises en œuvre, tourne franchement le dos aux recommandations du Président d’Israel (tout comme ce Gouvernement tourne le dos au Droit International et aux Droits de l’Homme, par le ‘’laisser faire’’ dont bénéficient les colons.)
Ma critique, clairement, va aux gouvernements successifs, qui font en sorte que les aspects illégitimes du Sionisme progressent régulièrement. Ma critique va aussi à la Communauté Internationale et aux États qui la composent qui, globalement, accompagnent objectivement avec bienveillance des actions illégitimes que par ailleurs ils disent condamner.
Jean P. Ciron (avril 2018)
::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: Note (1)
Depuis septembre 2000, on déplore 1242 israéliens (dont 134 enfants) tués par les Palestiniens, et 9510 palestiniens (dont 2167 enfants) tués par les israéliens. (Source : http://ifamericaknew.org/ : Graphs based on data from B’Tselem, the Israeli Center for Human Rights in the Occupied Territories — https://www.btselem.org/statistics )
“The majority of these [Palestinian] children were killed and injured while going about normal daily activities, such as going to school, playing, shopping, or simply being in their homes. Sixty-four percent of children killed during the first six months of 2003 died as a result of Israeli air and ground attacks, or from indiscriminate fire from Israeli soldiers.” (Catherine Cook / ifamericaknew )
:::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: Note (2)
Former US President Jimmy Carter said the US should not attack Iran, even if Iran develops nuclear weapons. He added : “Israel has nuclear weapons on his own, what, 300 or more, nobody knows exactly how many” ( …) “And I know that every Iranian realizes that if they should try to use a nuclear weapon, Iran would be wiped off the face of the earth” (Source. : israelhayom April 2014)
Colin Powell leaked emails say “Anyway, Iranians can’t use one [a nuclear weapon] if they finally make one. The boys in Tehran know Israel has 200, all targeted on Tehran, and we have thousands” (Source : independent.co.uk sept. 2016)
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